Depuis les Bienveillantes je n’avais pas été autant accroc à un livre au point de dévorer ses cinq cent pages en moins de trois jours.
Récit écrit à la première personne par Emmanuel Carrère racontant la vie de Limonov écrivain aventurier. Carrère le compare à Jack London, mais cela aurait pu être Cendrars, Hemingway ou Kessel. Écrivains qui n’ont aucun besoin d’imaginer, relatant simplement ce qu’ils ont vécu. Avides de nouveautés ils veulent goûter à tout, vivre tout même dans le cas de Limonov, la violence allant jusqu’au meurtre qu’il n’a certes pas commis mais souvent envisagé avec froideur.
Parti d’URSS en même temps que Solyenitsyne qu’il déteste, contrairement à ce dernier il se dit délinquant et non dissident désirant connaître l’Occident et y faire sa vie.
Comme son compagnon de fuite en Occident, il n’y trouvera pas le bonheur d’y vivre et à la première occasion retournera dans son pays après quinze ans de galère contrairement à son illustre compatriote qui, beaucoup plus connu, pouvait vivre de sa plume .
Parti de Russie comme écrivain poète et délinquant il fût en Occident tour à tour pigiste dans des journaux underground, valet de chambre d’un milliardaire, écrivain sans grand succès, c’est un éditeur français qui le premier l’éditera d’où son passage en France où il côtoya Jean Hedern Hallier en écrivant dans l’Idiot International.
De retour en Russie il dénonça la perestroïka et la Gladsnost fonda un parti nationaliste, fut emprisonné, et alla faire le coup de feu avec les Serbes de Kraïna.
Limonov est toujours vivant anti Poutine forcené alors qu’Emmanuel Carrère nous dit que par certains cotés il lui ressemble beaucoup : même origine modeste, fils de militaire, rejet de l’occidentalisme. Comme Poutine il refuse le dénigrement systématique de la période soviétique arguant du fait irréfutable qu’on ne peut rayer de l’histoire d’un pays 70 ans de son existence, alors que des gens ont œuvré honnêtement et bravement à sa grandeur, même si leurs dirigeants étaient dans l’erreur et loin d’être des agneaux.
Mais on ne peut dire à des millions de gens qu’ils ont vécu durant 70 ans dans l’erreur absolue et que tout ce qu’ils ont fait a été inutile.
Sa vie amoureuse et sentimentale fut tout aussi aventureuse, mais ce sont les femmes qui le quittaient alors qu’il prenait soin d’elles, même Natacha nymphomane et alcoolique, pour elle il arpentait des jours durant les endroits les plus mal famés de Moscou pour la récupérer. Aventurier mais fidèle.
A coté de ses attitudes peu recommandables, fascisantes, il avait une forme de code d’honneur qui le faisait respecté par ses compagnons de détention notamment durant son séjour en prison comme Zek.
Mais partout il refusait le conformisme, haïssait le monde occidental qu’il jugeait colonialiste essayant d’imposer partout ses propres valeurs., même par les armes tuant et massacrant en leur nom : Irak, Afghanistan .
Quant, lors d'une récente entrevue Emmanuel l'interroge sur sa vie, Limonov lui répond "Une vie de merde !".
Ce livre est formidablement écrit, je pense qu’il ne sera pas oublié par les prix littéraires. De plus Emmanuel Carrère nous fait vivre la période éminemment trouble du passage de l’union soviétique de Gorbatchev à la Russie d’Eltsine très mal connue en Occident.
Limonov est un des derniers aventuriers de notre temps car reste-t-il quelque chose à découvrir et à décrire dans ce monde standardisé à l'extrême où les populations quelque soit l'endroit où elles se trouvent boivent le coca, bouffent du big mac, regardent les mêmes séries débiles made in US et écoutent la même Techno. Où sont les aventuriers et découvreurs du XXIème ? Les traders ... Pouah !
Si vous désirez voir une excellente interview d’Emmanuel Carrère où il dit beaucoup mieux que je ne peux l’écrire ce que fût Limonov : http://ed-limonov.livejournal.com/
Je vais de ce pas me précipiter pour acquérir « Journal d’un raté » de Limonov réédité chez Albin Michel.
Tous aux livres !
